Le projet vu par L’Autre Montréal
L’Autre Montréal a pour mission de faire découvrir la ville par des parcours urbains mettant en lumière ses défis et son histoire pour toutes les personnes qui y vivent. Au cœur de sa vocation, il y a à la fois un enjeu d’éducation citoyenne et aussi une très grande sensibilité pour le droit à la ville et comment celle-ci est vécue par ceux et celles qui l’habitent, et quels sont les moyens à leur disposition pour se l’approprier et se placer au coeur des changements.
Saisir et comprendre les enjeux de la ville sous l’angle de l’accessibilité et des défis qu’elle représente pour les personnes avec un handicap visuel était au départ ce qui a interpellé L’Autre Montréal quand l’organisme a été approché par les deux artistes sonores avec le projet de Montréal, ville invisible. C’était une façon de pouvoir saisir de manière plus intime les défis que représente la ville pour cette clientèle et ainsi approfondir notre propre expertise de la ville et de ses enjeux.
Comme L’Autre Montréal se fait un mot d’ordre de faire voir la ville autrement, de la présenter différemment à son public, la possibilité de l’explorer en priorisant un autre sens, en l’occurrence l’ouïe, ouvrait un éventail de possibilités très intéressant à développer. La dimension toute personnelle, intime et circonscrite dans laquelle nous plonge la posture d’écoute, en plus de remettre en perspective le proche et le lointain, attire l’attention sur les microcosmes sonores de lieux cent fois visités avec les yeux, devenus presque invisibles et indifférents. Le son devient alors à la fois beauté et nuisance, vecteur de petite histoire locale ou porteur de grande histoire des quartiers. Pensons à la fontaine dans le parc, pensons à l’autoroute dans le lointain (ou pire dans la proximité!), pensons à tout ce qui crée notre ambiance sonore sans que l’on prenne le temps d’en identifier les sources ou même de réaliser qu’elle nous enveloppe complètement et constamment. Cette façon différente d’appréhender la ville pourrait définitivement enrichir les pratiques de L’Autre Montréal.
Dans le projet « Montréal, ville invisible », L’Autre Montréal avait pour rôle d’accompagner et d’observer la démarche des artistes / médiateurs tout au long du processus, des ateliers aux étapes d’enregistrement des capsules sonores. Le contexte de la COVID 19 nous a non seulement obligés à moduler de manière différente dans le temps le projet, il a également eu un impact sur la forme, notamment sur le fait que les ateliers ont dû se décliner parfois en Zoom et dans une formule beaucoup plus restreinte que celle prévue initialement. Mais ces aléas ont aussi permis à L’Autre Montréal et à ses représentantes (ainsi qu’aux artistes) de prendre une posture d’accompagnement auprès des participantes et participants et ainsi vivre une expérience beaucoup plus immersive avec ces personnes.
En effet, ce contexte particulier, par la place qu’il nous a permis d’occuper, nous a fait comprendre d’une manière beaucoup plus intime ce qu’est la ville pour une personne avec une limitation visuelle selon son degré du handicap, par exemple qu’elle soit aveugle de naissance ou avec un degré divers de perte de vision. En effet, plusieurs personnes avec un handicap visuel conservent certaines facultés de vision bien qu’atténuées à différents degrés (par exemple perception de la luminosité, de formes, etc), ce qui transforme également leur appropriation de la ville et leur facilité à s’y mouvoir, s’y déplacer.
Notre rapport à la ville en qualité de « personne voyante » est marqué par des réflexes, des automatismes, des évidences et des certitudes. Être placé en position d’accompagnatrice ébranle ces derniers. On doit d’abord essayer de tout anticiper, ce qui nous révèle à quel point notre point de vue de la ville est biaisé par le fait d’être voyante. S’il nous vient rapidement à l’esprit que traverser un carrefour, une intersection est un enjeu risqué, l’étroitesse d’un trottoir ou les obstacles s’y dressant (par exemple un poteau électrique légèrement décalé, une terrasse mal délimitée, du mobilier urbain) ne tire pas automatiquement la sonnette d’alarme. Rapidement on s’aperçoit que la ville est remplie de défis et qu’elle est un véritable parcours du combattant.
La ville a plusieurs marqueurs souvent invisibles et inaudibles pour les voyantes et voyants, mais qui sont des repères essentiels pour les personnes en situation de handicap visuel et qui composent l’éco système de leur sécurité dans l’espace public. En partageant leur expérience de la ville, on s’aperçoit à quel point cette dernière est bien peu inclusive et ce même si des efforts ont été faits dans les dernières années. Paradoxalement de nombreuses interventions / innovations urbanistiques dans l’espace se révèlent de véritables freins à leur sécurité dans la ville.
Par exemple, plusieurs aménagements comme le nouveau REV (le Réseau express vélo) sur la rue St-Denis ou encore la modernisation de certaines rues (les rues « partagées » qui n’ont plus les points de repères habituels) représentent de grands défis en termes d’accessibilité universelle et certains secteurs nouvellement réaménagés par la ville deviennent de véritables zones à éviter pour les personnes aveugles et amblyopes. Et ce, sans compter tous les innombrables chantiers montréalais. Selon un sondage récent du RAAMM, plus du quart des individus vivant un handicap visuel ne sont pas en mesure de se déplacer de manière sécuritaire et autonome dans la ville. Quand on sait qu’il y a plus de 200 000 personnes ayant une limitation visuelle au Québec et que la majorité d’entre elles vivent à Montréal cela donne une idée du nombre de citoyennes et de citoyens dont le droit à la ville est limité.
D’un point de vue personnel pour les deux accompagnatrices, vivre l’expérience de « Montréal, ville invisible » a permis d’aller à la rencontre de la réalité des participants et participantes et a affiné leur perception de la ville. C’est un partage d’expériences humaines extrêmement enrichissant. Pour L’Autre Montréal, il s’agissait de poursuivre et d’enrichir sa démarche de compréhension des enjeux urbanistiques et sociaux dans la ville. Grâce à ce projet riche en médiations de toutes parts, l’Autre Montréal a pu explorer la ville sous une perspective totalement inédite pour l’organisme et ce avec les meilleurs interprètes possibles, nos participants et nos participantes. S’effacer derrière leur expérience sensible, dans une position de grande écoute, nous a permis de véritablement pouvoir expérimenter leur vécu en plus de nous faire découvrir la grande richesse de la couleur sonore spécifique à Montréal, ce qui, en tant que « voyantes » nous échappait.
Nous vous invitons à aller parcourir les balados qui témoignent de ces échanges pour vous plonger au cœur de cette expérience immersive et « transformatrice ». Nous sommes persuadées qu’elle le sera autant pour vous qu’elle l’a été pour L’Autre Montréal et son équipe.
En complément
Pour en savoir plus sur la réalité des personnes en situation de handicap visuel ou vous sensibiliser aux enjeux, quelques suggestions de lecture et de documentation :
- Circulez vous à l’aveuglette, une BD du RAAMM
- Chaine YouTube du RAAMM (Regroupement des aveugles et amblyopes du Montréal métropolitain)
- Plan d’accessibilité de la Société de transport de Montréal
- Critères d’accessibilité universelle : déficience visuelle. Aménagements extérieurs : Institut Nazareth et Louise-Braille, 2014, Société Logique (document pdf)