Présentation du projet

Chantal Dumas et Josée Boyer assises au Parc Jarry. Chantal tend un micro à Josée

Prémisse

Le projet « Montréal, ville invisible » veut renverser la règle qui établit la vision comme sens dominant. Plus précisément, nous avions envie de comprendre comment les personnes mal et non-voyantes apprécient la ville et comment nous pourrions ensemble possiblement partager cette appréciation.

Nous avons eu la chance que L’Autre Montréal et le Regroupement des aveugles et des amblyopes du Montréal métropolitain (RAAMM) s’intéressent au projet et avec l’aide de participantes et participants enthousiastes nous avons pu initier une conversation qui a traduit des expériences individuelles dans le contexte de ces organismes communautaires. Merci à Anne, Josée, Jérôme, Michael et Vytautas qui ont bien voulu se prêter à l’expérience et à Caroline et Christine de L’Autre Montréal qui ont accompagné le groupe tout au long du projet.

L’axe principal de notre pratique d’artiste-chercheur est le son dans toutes ses dimensions. Le projet « Montréal, ville invisible » nous a donné l’occasion d’approfondir des questions sensorielles qui nous intéressent d’abord et avant tout en tant qu’artiste sonore appréciant l’écoute. Nous connaissons le pouvoir du son mais nous savons aussi que le visuel domine notre culture.

Si la sensibilité perceptive non-voyante n’est pas basée sur une information visuelle, à quelles autres modalités sensorielles obéit-elle ? Le son comme sens prioritaire d’appréciation est alors devenu pour nous le point de départ. Même en partageant cette référence commune, il y avait beaucoup de nouvelles choses à découvrir ensemble.

Prenons pour exemple le sport : sachant que le son fournit le signal de référence pour l’orientation, comment pratique-t-on un sport ayant comme point de repère principal le son ? Comment interagit-on avec la technologie ? Comment expérimente-t-on et apprécie-t-on la nature autrement qu’avec le son ? Comment le son agit-il comme la clé pour la mobilité tout en étant peut-être en même temps un obstacle important ? En faisant l’expérience de la ville et des espaces publics ensemble nous avons pu explorer et autant que possible partager tout cela.

Un outil important dans cette aventure a été la technique de captation du son en binaural. Cela implique l’utilisation de deux petits microphones placés à côté de chaque oreille. Enregistrer le son de cette façon équivaut à capter le champ acoustique tel que perçu. Tout ce qu’il faut en plus est un casque d’écoute pour se rapprocher de l’écoute naturelle. De cette façon, un enregistrement sonore devient, plus que d’habitude, un souvenir, une trace réaliste d’un moment vécu et une façon de faire qui permet de partager les expériences sonores d’une perspective personnelle. Un des buts de notre projet était de rechercher comment nos participants pourraient faire des enregistrements de façon autonome avec la technologie qu’ils utilisent déjà dans leur vie quotidienne. C’était un vrai défi et il y a encore du travail à faire mais on a quand même bien avancé.

Chacun des participants a expérimenté la captation sonore à sa façon. Les plus expérimentés avec le son ont intégré une nouvelle façon de faire en portant leur attention sur la vie sonore de ce qui les entoure (les sons domestiques, la vie citoyenne, une manifestation, etc.). Chacun y est allé d’essais et erreurs. Ils ont expérimenté l’écoute et l’enregistrement dans des espaces publics et dans des lieux connus, à la maison, dans la cour arrière ou encore les parcs publics. Ils ont varié les positions d’enregistrement : en mouvement, se déplaçant, en s’asseyant, de même qu’ils ont testé différentes dispositions des microphones. Cet exercice a été sans aucun doute amusant et aussi déstabilisant parfois. Dans ces moments de captation, la concentration est déjà tellement sollicitée, pour répondre à des besoins d’orientation et de navigation qu’ils ne pouvaient être complètement attentifs à toute l’activité sonore en cours. Mais c’est unanimement qu’ils ont apprécié la richesse du son lors de la réécoute des enregistrements.

Le résultat de ce projet de médiation culturelle se retrouve sur cette page Web dédiée à « Montréal, ville invisible ». Elle regroupe cartes des points d’écoute et parcours, textes et photos, en plus d’une série de balados personnalisés où chacun des participants en situation d’écoute et d’exploration sonore nous entraîne sur son territoire choisi. Un 6e balado plus général explore l’expérience binaurale.

Les ateliers

Grâce au Regroupement des aveugles et amblyopes du Montréal métropolitain (RAAMM), plusieurs personnes vivant avec une limitation visuelle ont accepté de prendre part au projet. Après leur avoir remis un microphone binaural, Chantal et Florian ont expliqué ce qu’ils attendaient d’elles : aller à la rencontre de la ville, de lieux qui leur sont chers ou qui ont une signification pour elles, et enregistrer leur expérience avec les microphones. Les participantes et participants ont trouvé des façons très inventives d’enregistrer leur quotidien et de tester les différentes limites et possibilités du procédé de captation sonore en binaural.

« Montréal, ville invisible » a donné lieu à six rencontres-ateliers. Quatre se sont déroulés en visioconférence et deux se sont actualisés en ”présentiel”. La première expérience du binaural s’est déroulée au Parc Laurier où les participantes et participants ont été littéralement immergés dans un bain de sons. La deuxième sortie a fait place à des parcours individualisés. Chacune des personnes choisies a pu initier et explorer un parcours ou un lieu qu’elle a choisi ou qui lui a été proposé selon ses préférences. Les ateliers en visioconférence ont permis d’explorer différentes thématiques liées aux préférences sonores, à la technique binaurale et la captation sonore, à l’importance et l’usage du son dans les déplacements. Ces moments d’échange très riches ont permis à nous voyants de mieux saisir les enjeux des personnes mal-voyantes en général et dans la ville de Montréal en particulier. C’est d’ailleurs l’un des aspects du projet que nous avons particulièrement apprécié : la médiation culturelle et l’apprentissage a vraiment fonctionné dans les deux directions. L’implication des deux organismes en la présence de Caroline Masse et de Christine Guillemette de L’Autre Montréal et de Christine Letendre du RAAMM pour le volet Web accessibilité, a permis de toucher plusieurs aspects des enjeux liés à la rencontre entre les personnes malvoyantes et les personnes voyantes. Par exemple : comment organiser une rencontre accessible sur Zoom, comment présenter le contenu de façon accessible sur le Web et ce en allant jusqu’aux détails de partage des fichiers sonores, etc.

Réaliser ce projet de médiation culturelle en temps de pandémie nous a demandé de revoir son déroulement et de s’adapter au contexte. Quel plaisir aujourd’hui de vous en présenter le résultat et souhaitons qu’il suscitera en vous le désir d’explorer votre ville autrement. Bonne écoute, bonne marche-découverte!

Remerciements

Nous tenons à remercier Christine Letendre et Josée Boyer du RAAMM ainsi que Caroline Masse de L’Autre Montréal pour avoir accueilli notre idée de projet sans tout à fait savoir de quoi ça aurait l’air. Merci aussi à Christine Guillemette qui s’est investie dans le projet jusqu’à devenir une super guide aux dires de Josée. Un gros merci à nos participants pour leur générosité et leur joie de vivre.

Chantal et Florian