Entrevue avec Erika Malot du Théâtre du Rideau Vert, grand gagnant du coup de cœur du RAAMM 2023
13 février 2023
C’est le Théâtre du Rideau Vert qui a remporté le coup de cœur du RAAMM 2023. Nous avons rencontré Erika Malot, coordinatrice du développement artistique et responsable du projet d’accessibilité universelle du Rideau Vert, pour en savoir plus sur leurs belles démarches d’inclusion.
Qu’est-ce qui t’a amenée à développer une sensibilité pour l’accessibilité universelle ?
J’ai toujours travaillé dans le communautaire, évidemment en lien avec le culturel. J’ai fait une grosse partie de ma carrière dans le développement communautaire, plus particulièrement en santé mentale. J’ai travaillé avec plein de publics qui étaient éloignés de la culture : des publics immigrants, des personnes âgées, des personnes en situation de précarité financière. Donc j’ai toujours eu à cœur de ramener les gens vers la culture, parce que selon moi, la culture est un liant social et le noyau d’une société. La culture sert à rapprocher les personnes différentes ou les personnes qui ne se connaissent pas ou peu.
Après, j’ai toujours adoré la langue des signes ; j’avais suivi des cours il y a de nombreuses années. Dans mes cercles d’amis, j’avais une amie qui avait une dégénérescence visuelle, une autre amie qui avait des appareils parce qu’elle était malentendante, et ma belle-mère est en fauteuil roulant. Alors j’ai toujours été très conscientisée à ça. Et je me suis rendu compte qu’on n’était pas forcément égaux face à l’accessibilité des lieux et des activités. C’est une sensibilité que j’ai toujours eue.
Quelles démarches ont été faites au début pour rendre le théâtre plus accessible ?
Avant que j’arrive, le Théâtre du Rideau Vert se positionnait comme tous les théâtres au Québec, c’est-à-dire qu’il avait à cœur d’accueillir au niveau physique, donc on a un espace plancher sans marches, des toilettes accessibles, des espaces réservés dans la salle pour les personnes en fauteuil roulant. On accueillait aussi les personnes malentendantes en leur offrant un système d’aide à l’audition. Mais moi, ce que je voulais faire, c’était d’amener le Rideau Vert plus loin et entrer dans le 21e siècle de l’accessibilité universelle, parce qu’en voyant ce qui était fait dans le monde anglophone, en Grande-Bretagne et aussi en Europe, j’ai constaté que le Québec était un peu en retard.
Au tout début, on s’est dit que si on mettait un programme en place, on y irait à fond, et donc, qu’on développerait plusieurs volets en même temps. On a visé principalement les communautés qui étaient très éloignées du Rideau Vert : la communauté sourde et les personnes aveugles ou malvoyantes.
Comme je ne suis pas experte en accessibilité universelle, je me suis beaucoup renseignée sur ce qui se faisait ailleurs et je me suis inspirée des modèles dans le milieu anglophone. Et je dois vraiment rendre à Émilie Hervieux du Centre Segal ce qui lui revient ; elle m’a beaucoup épaulée.
Pour l’audiodescription, que nous appelons au Théâtre du Rideau Vert la théâtrodescription, je me suis beaucoup inspirée de ce qui se fait à Danse-Cité ; ce sont vraiment les précurseurs en audiodescription. C’est important de ne pas travailler en vase clos, et d’aller chercher l’expertise d’autres personnes qui sont passées avant nous.
Au Rideau Vert, on a mis en place une communauté de pratique en janvier 2022 et on est rendu à 30-35 membres, incluant presque tous les principaux lieux de diffusion et de production de Montréal et de Québec, des organismes communautaires ou de défense des droits, et également des spectateurs qui sont des représentants des publics cibles. Avec tout ce monde-là, on avance, on progresse. On parle beaucoup avec le public, par le biais de rencontres ou sondages, dans le but de constamment améliorer notre pratique.
Notre équipe d’accueil a aussi été formée pour accompagner les spectateurs. Ça peut être aussi simple que d’attendre le transport adapté, de savoir comment accompagner une personne aveugle sans marcher trop vite, etc.
Quels sont quelques-uns des défis que vous avez rencontrés dans le processus ?
Le premier a été d’aller à la rencontre du nouveau public : savoir à qui parler et comment contacter les personnes, parce que tous les outils de communication doivent être adaptés. Par exemple, il a fallu qu’on produise des capsules audio et des capsules en langue des signes québécoise pour promouvoir nos spectacles. Ça a été de l’adaptation.
Il y a aussi eu des défis techniques. C’est un défi de recrutement de personnel, parce qu’il y a peu de spécialistes. Tout comme l’audiodescription il y a 10 ans était à peu près inconnue au Québec, le surtitrage n’est pas encore quelque chose de très développé. On doit se demander : quel logiciel utiliser ? Quel technicien employer pour passer les surtitrages en direct le soir du spectacle ? Mais sinon, on a de belles collaborations avec SIVET pour la langue des signes et avec Connec-T pour la théâtrodescription.
Tu disais que tu aimais avoir la rétroaction du public cible, y a-t-il un commentaire qui t’a particulièrement touchée de la part des spectateurs ?
Je pense à une personne qui a perdu l’audition et qui n’était plus retournée au théâtre depuis une vingtaine d’années, et qui est retournée parce qu’elle avait entre-temps appris la langue des signes. Elle disait que c’était une joie pour elle de pouvoir revenir au théâtre voir des spectacles de qualité, parce qu’elle était une grande fan de théâtre auparavant. C’était très émouvant à entendre.
Nous avons eu de très bons commentaires. Là où ç’a été marquant, c’est lorsqu’on a fait la première visite tactile. Il n’y avait que 5 personnes, donc c’était du un pour un, car presque toute l’équipe du Rideau Vert était présente ! Les gens m’ont dit, après avoir vu le spectacle, comment la visite tactile leur avait permis de concevoir et conceptualiser l’espace où allait se dérouler l’histoire et comment ça avait fait une différence dans leur compréhension de la pièce.
Peux-tu nous parler des prochaines étapes, de ce qui est à venir ?
Nos 4 productions maison cette année sont accessibles. On veut maintenir cela dans les prochaines années. Je compte conserver les visites tactiles ; pour moi c’est important de les faire à chaque spectacle. J’aimerais faire aussi des activités de médiation culturelle un peu plus ciblées, peut-être dans les communautés, en partenariat avec des associations, c’est-à-dire me déplacer pour expliquer la pièce.
Ce qu’on aimerait aussi dans un horizon de 5 ans, c’est offrir plus qu’une représentation. Pour l’instant, on a une soirée en théâtrodescription et une soirée en LSQ sur 24 représentations. On aimerait que ce soit plus fréquent pour que les personnes puissent choisir si elles préfèrent sortir le week-end ou en soirée, comme tout le monde. Et puis, on aimerait faire des partenariats avec des artistes de la diversité capacitaire.
Qu’est-ce que ça vous a fait de remporter le coup de cœur du RAAMM 2023 ?
On était complètement ébahis ! En plus, il y avait comme finalistes avec nous Danse-Cité et Joe Jack et John, donc c’était très émouvant de se retrouver avec ces deux compagnies qui sont des leaders dans leur domaine, qui sont des inspirations. Catherine Bourgeois chez Joe Jack et John est formidable, et puis je travaille beaucoup avec Maud Mazo-Rothenbühler de Danse-Cité. Ce sont des personnes qui sont inspirantes pour moi, donc déjà de se retrouver sur le même panel, c’était fou !
Ça nous conforte énormément dans le fait qu’on est sur la bonne voie au Rideau Vert et qu’on a bien fait de lancer ce programme, même s’il n’y avait personne qui était expert dans notre équipe et que c’était un gros défi parce que ce n’était pas notre public habituel. C’est un gros travail de développement de public, mais le fait d’être déjà reconnu, ça nous dit que ça doit plaire aux gens et qu’il doit y avoir un vrai impact. On est très très émus de recevoir ce prix.