Michelle Brulé : une grande passionnée d’écriture
Michelle Brulé est membre du RAAMM depuis plusieurs années et elle s’implique activement au sein de l’organisme. Elle nous raconte d’où lui vient son talent et son intérêt pour l’écriture.
« Écrire fait partie de moi. Sitôt l’alphabet et les principaux signes de ponctuation maîtrisés, je me suis mise à écrire des histoires. Idem pour la musique. À huit ans, il n’était pas rare qu’on me trouve en train de composer, assise sur un banc dans la cour de récréation, concentrée sur ma tablette et mon poinçon.
Naturellement, je dévorais le moindre livre qui me passait sous les doigts. J’ai toujours été une lectrice insatiable. À l’adolescence, les livres d’aventure étaient mes préférés, notamment Jules Verne. Plus tard m’est venue la poésie, à un âge où on en a bien besoin, et j’ai même commis quelques quatrains.
En 1956, au moment d’entrer au pensionnat, ma mère m’avait dit, toute fière: “Tu vas apprendre à lire et à écrire!” Pas “Tu vas apprendre le braille!” Elle avait raison. Comme tous les enfants de première année, on apprenait à reconnaître et à reproduire lettres et chiffres, à assembler syllabes, mots et phrases, et il se trouve que ça se faisait en braille. Comme tous les enfants de première année, on avait des profs qui utilisaient eux-mêmes au quotidien le système d’écriture qu’ils enseignaient. Les modèles, les mentors, on les côtoyait tous les jours. Ainsi, il était tout aussi normal pour un enfant aveugle d’écrire au poinçon que pour un jeune voyant de le faire au crayon. Au lieu de perfectionner notre calligraphie, nous apprenions à éviter les points de trop. Ça vous dégourdit la motricité fine, je vous le garantis, et ça cultive la concentration! C’est en huitième année seulement que mon groupe est passé au “brailler”.
La concentration est un élément essentiel pour tout travail d’écriture. Afin d’augmenter nos chances d’accéder aux études supérieures et à l’emploi, nous avons appris la dactylographie. Pour nous, le clavier de l’ordinateur ne poserait plus tard aucun problème. Mais comme nous n’avions la possibilité ni de nous relire ni de corriger nos erreurs, à la moindre faute, on devait tout recommencer! Encore une fois, mieux valait bien se concentrer si on voulait échapper à pareille frustration.
Le monde à cette époque n’était pas encore “sonore”. Au fur et à mesure qu’il l’est devenu, la plupart des personnes qui, comme moi, ont eu la chance d’étudier sous “l’ancien régime” ont réussi à conserver leurs acquis. Nous ne pouvions que profiter davantage des progrès technologiques. Le braille reste le braille, qu’on le pratique sur papier ou sur un afficheur, et l’audio devient un complément très utile.
Imaginons mon parcours si j’avais été élève, disons, au début des années 2000 :
L’inclusion? Mais avec “plan d’intervention” pour “besoins spéciaux”. Le braille? Mais en isolement pendant que mes amis voyants font du sport ou vont à la bibliothèque. Pas trop motivant! Les travaux d’équipe? Bof, c’est pas moi qui écrit! L’Université? Cool, j’ai droit à quelqu’un pour prendre mes notes à ma place. Je pourrai peut-être même passer des examens oraux.
On aura compris que tout ça n’est qu’imagination de ma part. La réalité, c’est que dès qu’il s’agit de rédiger un écrit le moindrement conséquent, d’utiliser un traitement de texte, de peaufiner une présentation, de relire et de corriger son travail, le braille est nettement avantageux. Il existe encore sur le marché de l’emploi des postes requérant ce genre d’habileté. Ça me fait mal de penser que tant de non-voyants vont désormais grossir les tristes statistiques québécoises sur l’analphabétisme fonctionnel! Ça me fait mal de constater chez mes pairs, même au sein du mouvement associatif, une abdication fataliste devant la relégation de ce merveilleux outil qu’est le braille, décrit par Harari comme “système complet d’écriture”, au statut de dépanneur juste bon à identifier des cartes à jouer! »