Marcher au son de la ville

20 décembre 2013

La ville de Montréal ne dispose que d’une centaine de feux de circulation sonores; qui permettent aux non-voyants de traverser aux intersections en sécurité. En octobre, Réal Ménard, alors responsable des transports à la Ville, s’est engagé à mettre en place une centaine de feux sonores supplémentaires avant 2017. D’ici là, et pour tous les feux de circulation qui ne sont pas adaptés, les non-voyants devront apprendre à se repérer autrement. Parfois, les dispositions du mobilier urbain n’ont rien pour faciliter leurs déplacements dans la ville.

Pierre Croisetière est membre du Regroupement des aveugles et amblyopes du Montréal métropolitain (RAAMM). Il est devenu aveugle tardivement. Aujourd’hui, son champ de vision n’est que de 2 degrés, alors qu’une saine vision permet de voir à 180 degrés. Il connaît bien la géographie de Montréal, ce qui l’aide dans ses déplacements, mais bien des aspects du territoire réservé aux piétons complexifient ses parcours.

Métro l’a rencontré au Quartier des spectacles, un secteur qui donne des sueurs froides aux non-voyants de la ville. Si le nouvel aménagement du quartier a été salué par plusieurs, la disparition des trottoirs sur la rue Sainte-Catherine, entre les rues de Bleury et Saint-Dominique, empêche les citoyens dans le même état que M. Croisetière de distinguer la limite entre le trottoir et la rue. Ils peuvent donc facilement dévier et se retrouver en travers de la circulation parallèle.

Du bout de sa canne, M. Croisetière tâte le pavé à l’angle de Sainte-Catherine et de Jeanne-Mance. Il peut à peine distinguer une dénivellation. «Je pourrais arriver dans la rue sans le savoir», lance-t-il.

L’élimination des trottoirs dans le secteur est également problématique pour leurs déplacements entre les intersections. L’absence de dénivellation les empêche de ressentir le début de l’intersection, ce qui pourrait mener à des collisions. «L’autre jour, dans le secteur, j’ai cherché où était le début d’une intersection. Je ne sentais pas de dénivelé. Puis, sans que je m’en rende compte, j’étais déjà rendu de l’autre côté de la rue», se souvient M. Croisetière.

Il poursuit son chemin rue Sainte-Catherine, vers l’est, descend le boulevard Saint-Laurent et tourne sur René-Lévesque. Déjà dans ce petit parcours, aucun feu de circulation sonore ne lui permet de traverser en toute sécurité. Tout ce qu’il peut faire, c’est se fier au flux de la circulation.

Bien à l’arrêt au coin d’une rue, M. Croisetière se tient aux aguets pendant que les voitures roulent devant lui. Aussitôt que les automobiles parallèles à lui, sur sa gauche, s’engagent sur la voie, il sait qu’il peut traverser. «Il faut être agressif et aller vite pour que les voitures nous laissent passer. Certaines tournent à droite sans nous voir. J’ai au moins une canne brisée par année en raison de ces collisions», souligne M. Croisetière.

Sans un trafic soutenu qui permet aux non-voyants de se guider, et en l’absence de feux sonores, les personnes aveugles sont sans repères. «Je peux passer plusieurs minutes à attendre à une intersection sans avoir la conviction que je peux traverser en toute sécurité. Parfois, je préfère changer de chemin», se désole M. Croisetière, qui demande aussi l’aide des autres passants.

Deux nouveaux feux sonores ont été ajoutés dans la dernière année sur le boulevard René-Lévesque, dont un à l’angle de la rue de l’Hôtel-de-Ville. Ces outils sont d’une grande importance pour les personnes non voyantes qui peuvent difficilement s’engager sur ces grandes artères en se guidant seulement sur le son des voitures. Idéalement, les rues Sherbrooke, Décarie et Pie-IX devraient aussi en avoir, mentionne M. Croisetière. Le réseau du métro est souvent la solution s’ils désirent traverser ces grandes artères. «Si vous êtes perdu et s’il y a un non-voyant dans le coin, demandez-lui votre chemin, car lui, il n’a d’autre choix que de savoir où aller», conclut M. Croisetière, sourire en coin.

Promesse

Dans une lettre envoyée au Regroupement des aveugles et amblyopes du Montréal métropolitain en octobre, Réal Ménard, alors responsable du transport au comité exécutif, s’engageait à installer ou à mettre aux normes 50 intersections munies de feux sonores par année. «De sorte qu’en 2017, l’ensemble des demandes de feux sonores projetés serait implanté selon les normes en vigueur», mentionne le document. Le RAAMM a salué la proposition et considère cet engagement comme réaliste.

Un article de Laurence Houde-Roy publié dans le journal Métro, le 20 décembre 2013.

Source : http://journalmetro.com/actualites/montreal/421664/marcher-au-son-de-la-ville/