Handicap visuel : le web toujours largement inaccessible au Québec

12 février 2019

Malgré les normes adoptées en 2011 au Québec, à peine le tiers des sites gouvernementaux sont facilement accessibles aux personnes souffrant d’une déficience visuelle ou motrice. Sans surprise, la situation est encore pire dans le secteur privé, selon la première étude à se pencher sur ce sujet au Québec.

900 sites québécois réalisée par le Laboratoire de promotion d’accessibilité du web.

L’organisme indique qu’un site qui obtient la note de passage serait navigable par un utilisateur ayant des limitations fonctionnelles significatives sur deux.

« C’est à tout le moins extrêmement désolant », commente Yvon Provencher, agent de développement au Regroupement des aveugles et amblyopes du Montréal métropolitain (RAAMM).

« Oui, les personnes aveugles consultent et ont besoin d’Internet », souligne l’intervenant, qui est lui-même aveugle.

L’appareil le plus couramment utilisé est un lecteur d’écran, qui décrit avec une voix robotique chaque élément de la page web consultée. Or, si le site n’est pas conçu adéquatement, le lecteur d’écran est incapable de le déchiffrer.

Par exemple, si le bouton « soumettre » à la fin d’un formulaire n’est pas identifié dans le code de la page Internet, une personne aveugle saura qu’il s’agit d’un élément cliquable, mais elle n’aura aucune idée de ce à quoi sert le bouton.

[Voir la description du tableau en fin d’article]

Sites gouvernementaux

Les sites gouvernementaux obtiennent le meilleur score, quoique assez faible, avec 33 % des sites qui obtiennent la note de passage.

« C’est extrêmement désolant qu’on se retrouve dans une situation comme ça et ça, c’est le meilleur des cas », dénonce Yvon Provencher, d’autant plus que l’ensemble des ministères sont soumis à des normes d’accessibilité depuis plus de sept ans.

Yvon Provencher souligne aussi la piètre performance des municipalités du Québec.

« Les municipalités, ce sont des organismes de services de proximité, c’est à peu près ce qui est le plus près des citoyens, et malgré ça, on se retrouve avec une municipalité sur 50 qui a une note de passage. Accablant, c’est le bon terme qu’on utilise. »

Secteur privé

Du côté des entreprises privées, 18,5 % des sites analysés ont obtenu la note de passage. Dans les sites de commerce électronique, ce score chute à 6,6 %.

Les achats en ligne avec livraison à domicile seraient pourtant un service fort utile pour les personnes souffrant d’un handicap visuel ou autre limitant leur capacité à naviguer sur Internet.

« En conditions hivernales, si on regarde cette année par exemple, si on avait des épiceries qui avaient des sites web avec vraiment une bonne accessibilité, ça éviterait d’avoir à se déplacer et à être confronté à des environnements qui peuvent être extrêmement difficiles à négocier. »

Yvon Provencher estime que les entreprises se privent ainsi de parts de marché importantes puisque le RAAM évalue qu’environ un million de personnes vivent avec des limitations fonctionnelles au Québec.

Qu’est-ce que l’accessibilité du web?

Selon le Secrétariat du trésor du Québec, « un contenu ou un service offert sur le web est considéré comme accessible lorsque toute personne, peu importe ses incapacités, peut le comprendre, y naviguer et interagir avec lui ».

Quel est le problème?

La firme CIAO, à Québec, compte quatre spécialistes de l’accessibilité web. Ils accompagnent régulièrement les ministères et les entreprises dans l’amélioration de leur site web.

« Ça y va à pas de fourmi, tranquillement, admet Mathieu Thériault. Je crois que c’est un manque de connaissances surtout. Beaucoup de mythes, beaucoup de préjugés que les gens ont comme quoi les personnes aveugles n’utilisent pas de téléphone cellulaire. »

« Si on croit bon d’offrir un service à une personne sans handicap, pourquoi une personne avec un handicap ne pourrait-elle pas avoir accès au même service? » 
Mathieu Thériault, spécialiste en accessibilité Web

Selon le programmeur, la solution passe par la sensibilisation, la formation et un meilleur suivi des normes à respecter.

« Les ingénieurs en bâtiment ont à respecter un code du bâtiment, les ingénieurs en informatique à mon avis devraient au moins avoir à vérifier les normes [d’accessibilité] et à s’assurer de leur qualité », illustre-t-il.

Améliorer l’accessibilité d’un site Internet déjà existant peut s’avérer coûteux. Mathieu Thériault recommande donc aux entreprises de se soucier de l’accessibilité dès le départ.

« Si on démarre en début de projet et qu’on fait les bons choix de technologies pour supporter tous nos sites web, ça va être des coûts peut-être de 5 % à 10 %, pas plus », soutient-il.

Selon lui, il faudra peut-être aussi un jour s’inspirer de l’Ontario, qui oblige les entreprises de plus de 50 employés à rendre leur site web accessible aux personnes souffrant d’un handicap d’ici 2021.

Un article de Jonathan Lavoie, publié sur le site Web de Radio-Canada, le 12 février 2019.

Source : https://ici.radio-canada.ca/nouvelle/1152313/accessibilite-malvoyant-web-internet-quebec 

*Description du tableau
Titre : Proportions de sites Web qui obtiennent la note de passage en matière d’accessibilité
Gouvernement : 33,3%
Santé et service sociaux : 32%
Organismes communautaires : 28%
Information et télécommunication : 27,3%
Alimentation : 22%
Voyage et tourisme : 20%
Culture : 19,4%
Entreprises privées : 18,5%
Institutions financières : 15,4%
Transport : 13,6%
Organismes philanthropiques : 12,5%
Commerce en ligne : 6,6%
Éducation : 5,6
Municipal : 2%
Partis politiques : 0%
Source du tableau : Laboratoire de promotion de l’accessibilité du web