Faciliter la vie aux handicapés visuels – Combattre l’ignorance

31 janvier 2009

«Il faudrait mettre en place le concept d’accessibilité universelle»

Il n’est pas toujours facile, pour les aveugles et les personnes atteintes d’une déficience visuelle, de fonctionner à leur guise dans un monde essentiellement conçu pour les voyants. Quels gestes peut-on faire, collectivement et individuellement, afin de s’assurer que les activités quotidiennes leur soient davantage accessibles?

«On ne veut pas de privilèges, mais tout simplement les mêmes droits que l’ensemble des citoyens, explique Serge Poulin, porte-parole du Regroupement des aveugles et amblyopes du Montréal métropolitain (RAAMM). On veut être en mesure de participer à toutes les activités de la vie, que ce soit les études, le travail ou les loisirs. Pour y arriver, il faudrait mettre en place le concept d’accessibilité universelle. Tout devrait être conçu de façon à ce que tous les citoyens, y compris les aveugles, puissent s’en servir. C’est alors que les aveugles et les amblyopes pourront pleinement exercer leur vie citoyenne.» Selon Serge Poulin, cette accessibilité universelle comprend quatre axes principaux.

Bâtiment et environnement

Le premier axe est celui du bâtiment et de l’environnement. «C’est l’axe avec lequel les gens se sont le plus familiarisés, parce qu’il s’est fait beaucoup d’aménagements pour rendre les bâtiments plus accessibles aux personnes ayant des déficiences physiques. Par contre, plusieurs gestes pourraient être faits afin de faciliter la vie des personnes ayant une déficience visuelle. Par exemple, un meilleur éclairage des lieux, une signalisation plus précise et surtout plus grosse, une organisation spatiale permettant une meilleure circulation.»

René Binet, directeur général du Regroupement pour les personnes handicapées visuelles (RPHV) pour les régions de Québec et de Chaudière-Appalaches, abonde dans le même sens. «L’absence de réception dans un édifice public est un problème pour les aveugles.» Il tient aussi à mettre en évidence certaines pratiques, anodines à première vue, mais qui causent aussi des problèmes. «De plus en plus, on place des présentoirs de produits dans les allées des pharmacies et des magasins d’alimentation qui sont, pour les aveugles, de nouveaux obstacles. Il faudrait que les allées soient toujours libres.»

Communications et technologies

L’accès aux communications et aux technologies est aussi une priorité. «Je considère que l’accès aux communications aujourd’hui est un droit de citoyen. Prenons, par exemple, le courrier qu’on reçoit à la maison. Pour un aveugle, c’est un problème, parce qu’il doit demander à quelqu’un d’autre de le lire pour lui. Pourquoi ne serait-il pas possible de recevoir ces documents, particulièrement ceux provenant du gouvernement ou d’une municipalité, dans des formats alternatifs, comme en gros caractères, en braille ou en format audio? Cela pourrait se faire selon la demande.»

Et René Binet de rajouter: «ll faut aussi avoir accès aux différents appareils technologiques sur le marché. Les téléphones cellulaires, avec des touches de plus en plus petites ou des menus de plus en plus complexes, sont devenus difficiles à faire fonctionner pour un déficient visuel. Aujourd’hui, même certaines cuisinières sont un problème. Je pense à celle où les ronds de poêle sont dessinés sur une plaque, ce qui ne permet pas de repères tactiles.»

Idem pour Internet. «Seulement environ 5 % des sites Internet sont accessibles aux déficients visuels, explique Serge Poulin. Il faudrait adapter les sites Internet de façon à ce que nous puissions utiliser nos logiciels de synthèse vocale ou de transcription en braille.»

Programmes et services

Toujours selon Serge Poulin, les programmes et les services adaptés aux besoins des personnes handicapées visuelles constituent le troisième axe de cette accessibilité universelle. «Je pense ici à l’accompagnement des personnes handicapées visuelles et au fait qu’elles ne devraient pas subir de préjudice parce qu’elles sont accompagnées. Il y a aussi le transport en commun qui pourrait être mieux adapté. Plusieurs aveugles refusent de prendre le métro parce qu’ils arrivent mal à distinguer là où s’arrête le quai et ils ont peur de tomber.»

Il y a évidemment aussi toute la question de l’accès à l’emploi. Si Serge Poulin et René Binet, tous deux aveugles, ont un emploi, René Binet fait remarquer que «nous travaillons tous les deux pour des organismes de défense des droits des handicapés visuels». Pourraient-ils trouver un emploi ailleurs? «Peu de personnes handicapées visuelles ont un emploi. Il est vrai qu’une personne handicapée visuelle n’a pas la même productivité qu’un employé voyant, et il faut en tenir compte. C’est d’ailleurs pour cela qu’il existe à Emploi-Québec un programme qui vise à compenser un employeur pour la perte de productivité d’un employé handicapé visuellement.»

Préjugés et attitudes

Les préjugés et les attitudes qu’ont les personnes voyantes envers les personnes handicapées visuelles forment le dernier axe de ce plan. «Je n’aime pas utiliser le mot « préjugé », tient à préciser Serge Poulin, car, au fond, il s’agit bien plus d’ignorance que de préjugés. Les gens ne savent pas comment se comporter ni quoi faire lorsqu’ils se retrouvent dans une situation où il y a une personne handicapée visuelle.»

Le cas classique est celui d’une personne aveugle qui attend à une intersection. «Ce qu’il ne faut surtout pas faire, poursuit-il, c’est la prendre par le bras pour la faire traverser. D’une part, vous risquez de lui faire peur, et ensuite vous ne savez même pas si elle veut traverser. Ce qu’il faut plutôt faire, c’est lui demander si elle a besoin d’aide et ensuite comment vous pouvez l’aider. Et ne vous offusquez pas si elle dit non. Il se peut qu’elle n’ait tout simplement pas besoin d’aide.»

Plusieurs obstacles qui gênent la vie quotidienne des aveugles et amblyopes pourraient être levés, selon Serge Poulin, si on «faisait appel aux aveugles et déficients visuels avant la conception d’un projet. Par exemple, en urbanisme, on construit souvent des ronds-points qui sont de véritables cauchemars pour les personnes aveugles.»

De plus, soutient-il, l’effort citoyen ne devrait pas se limiter à écouter et à prendre en compte les griefs des personnes handicapées visuelles. «On ne veut pas uniquement dresser une liste d’épicerie, tout le monde peut faire ça, on veut plutôt contribuer et faire partie de la solution. Par exemple, lorsqu’un problème survient et qu’on souhaite le corriger, pourquoi ne pas demander à une personne handicapée visuelle de dire quelle solution elle propose?»

 

Un article de Pierre Vallée publié dans Le Devoir le 31 janvier 2009

Source : http://www.ledevoir.com/societe/sante/230431/faciliter-la-vie-aux-handicapes-visuels-combattre-l-ignorance